Interview de Catherine Lejealle (docteur en sociologie) sur les addictions aux téléphones portables
Catherine Lejealle est docteur en sociologie, ingénieur télécom et
enseignant-chercheur à Telecom Paris Tech. Elle a écrit deux livres («La télévision mobile» et «Le jeu sur téléphone portable») et a répondu le 20 novembre en direct aux questions des internautes sur l'addiction aux nouvelles technologies sur le site 20minutes.fr. Voici quelques éléments de cet interview.
Les nouveaux portable type iPhone avec internet, facebook, twitter,
myspace, msn, jeu, infos... Sont une porte ouverte sur la société,
l'actualité et un outil de communication social. Mais en même temps ne
nous isolent-ils pas des personnes qui se trouvent juste a coté de
nous? Exemple quand un couple est chacun de son coté sur son téléphone
avec son facebook ou msn... Il y à rupture de dialogue flagrant, non?!
Pour mon cas personnel, je me suis déjà prit le bec avec ma moitié
quand il va discuter sur son facebook via son iPhone.
Les gens n'ont que 24h donc il faut voir ce que cela remplace.
Dans votre cas, si ça remplace la conversation, effectivement c'est pas
top mais si on écoute un peu de musique sur le mobile pendant les
trajets au lieu de prendre en plus son lecteur, où est le mal? De plus
dans les transports, ça permet de poser son regard sur l'écran et
d'éviter la gêne liée à la promiscuité avec les inconnus. Donc ça
remplace quoi? Si ça permet d'envoyer un SMS de réconfort pour dire
"coucou je pense à toi" rédigé en attendant à la caisse du supermarché,
ça me parait pas une menace pour le lien social. La question est plutôt
«quel degré d'attention? est ce que ça n'incite pas à zapper, à ne plus
savoir s'immerger dans la lecture longue?»
Ne peut-on pas parler d'addiction au téléphone portable non pas d'un
point de vue temps de communication mais de la présence du téléphone ?
Quand on voit tant de personnes totalement perdues et déboussolées si elles
n'ont pas leur portable sur ou près d'eux...
Oui, les gens disent qu'ils sont morts s'ils perdent leur
mobile! La dépendance à l'outil vient aussi du fait qu'il concentre de
plus en plus de fonctions. Avant on avait besoin de plus d'outils pour
faire ce qu'il fait. Vous montez une étagère en bois et avez besoin
d'un niveau à bulle? Pas de souci, il existe une appli sur l'iPhone qui
fait niveau à bulle. Il peut rendre service à tout moment. On ne fait
pas que communiquer!
Quels sont les critères pour dire que l'on est addicted (aux nouvelles technologies)?
L'addiction telle que définie notamment par Howard Becker un sociologue
américain qui a travaillé sur le sujet bien avant l'arrivée des TIC
(technologies d'informations et de communications) correspond à l'apparition d'une souffrance. Ainsi pas de seuil dans
l'absolu. A 2h de jeux vidéo par jour on peut ne pas souffrir et ne pas
être addict et inversement l'être avec 2H si cela nuit à votre
équilibre parce que vous en souffrez. Mais comme souvent, les
addictions ont un terrain et l'addiction observée à un usage des TIC
existerait ou serait remplacé par un autre. Il y a des classes
d'addiction: celles liées à la maîtrise du corps comme boulimie,
anorexie ou sport en excès et d'autres liées au paraître, à flamber
dans les casinos parce qu'il faut le regard des autres. Donc il y a un
terrain mais on peut lutter et s'en sortir, pas de fatalité non plus.
Vous parlez d'addiction, or les vraies addictions (drogues,
alcool) provoquent des effets graves de dépressions, manques lourds,
violences et aussi des suicides, hospitalisations en psychiatrie. Or à
ma connaissance si vous coupez le téléphone, ou la console de jeux,
l'internet ou la TV chez les gens normaux cela ne produit pas ces
effets. Pourquoi parlez-vous donc d'addictions plutôt que des habitudes
de vie?
Ce n'est pas moi qui parle d'addiction. On posait la question mais non,
je ne vois pas d'addiction réelle. L'addiction telle qu'elle est
définie ne correspond pas à un seuil dans l'absolu, par exemple à
partir de 4h par jour vous êtes addict et à 3h59 non. Il y a addiction
lorsqu'il y a souffrance. Or on a toujours la possibilité de le couper
ou de ne pas en acheter. J'observe au contraire et ce depuis 10 ans que
j'enquête, interroge, que le mobile est une ressource supplémentaire au
service du lien social et donc permet de joindre les gens qu'on aime
pour leur dire qu'on pense à eux, il apporte donc du réconfort et
permet de se sentir souvent moins seul par exemple dans un hall de gare
anonyme. Il permet aussi de gérer efficacement la logistique en
appelant directement les bonnes personnes. De plus les fonctions
ludiques comme le jeu, la télé, la musique permettent de passer plus
agréablement les moments d'attente où no est seul, bloqués dans une
situation souvent contrainte. Donc bien géré, il n'apporte que des
avantages.
Plutôt que de parler d'addiction, le téléphone portable ne serait-il
pas devenu un outil indispensable d'intégration sociale pour les
nouvelles générations?
Tout à fait d'accord avec vous, d'ailleurs j'observe qu'à l'entrée au
collège, cela devient un rituel de passage d'offrir à l'adolescent son
premier portable car c'est un outil d'intégration avec partage de
musique et de sonneries et aussi outil d'apprentissage de l'autonomie
pour le jeune ado. L'addiction est très rare et en fait l'addiction au
portable si elle existe en remplace souvent une autre. Pour moi, c'est
devenu un objet indispensable dont il ne faut pas se priver qui permet
aussi la micro coordination (vous avez rendez-vous et le code a changé,
sans portable, vous êtes bloqué) mais il faut aussi savoir le couper et
l'éteindre complètement pour profiter de bons moments avec ses amis, sa
famille et les proches. Il ne remplace pas les moments de complicité
partagés en live.
Résumé :
Dans cet interview, Catherine Lejealle souligne le fait que l'utilisation du téléphone portable ne peut être que bénéfique dans la mesure où elle reste modérée, et qu'elle ne remplace pas de réelle activité (c'est-à-dire de l'utiliser dans des moments "vides", lorsque nous sommes seuls ou sans activité). De plus, ces appareils peuvent rendre service, à l'image de l'Iphone.
Ainsi, on ne peut pas parler véritablement d'addiction, car il n'y a pas de souffrances physiques.
Le téléphone portable, est selon elle, un lien social, et non pas un danger. Lorsque l'utilisation est gérée, il n'apporte que des avantages.
Catherine Lejealle pense que c'est aujourd'hui un outil indispensable, dont il ne fait pas se priver, mais dont il faut savoir faire abstraction afin qu'il ne gâche pas les meilleurs moments de la vie.